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Chronique de la haine ordinaire

Jacques IsoréConsultant formateur

Avec ce titre, France Inter diffusait, dans les années 80, une chronique quotidienne animée par l’humoriste Pierre Desproges. Traquant les ragots, les faits divers et les rumeurs, il disséquait et analysait tous les travers mettant en relief la bêtise, l’intolérance et la méchanceté. Il montrait ainsi en quoi les sentiments de haine ou de jalousie s’immiscent insidieusement dans notre langage habituel et nous amènent à nous ravir du malheur des autres. 30 ans plus tard, sommes-nous différents ? La haine existe-t-elle en entreprise ? D’où vient-elle ?

Mais, tout d’abord, qu’est-ce que la haine ?

La haine se définit comme le sentiment qui porte une personne à souhaiter - ou à faire - du mal à une autre, ou à se réjouir de tout ce qui lui arrive de fâcheux (Petit Larousse).

La haine est une hostilité très profonde, une exécration et une aversion intenses envers quelqu'un (ou quelque chose).Considérée comme la négation radicale d'une personne, elle correspond alors à l'intention de détruire l'autre « dans son être et son humanité ». En entreprise, cela se traduit par des collègues qui s’ignorent, ne communiquent plus entre eux, développent chacun un réseau de relations différent…

La haine peut s’exprimer de façon froide, calculée, cynique sous forme de mépris ou d’ironie sarcastique. Elle est fondée sur un déni de l'autre et de sa subjectivité. « La haine dessèche l'être qu'elle veut détruire comme un sirocco torride », affirme le philosophe Ortega y Gasset.

Selon le psychanalyste Heitor de Macedo « La haine n'attrape pas la vérité, elle l'enserre à l'intérieur d'une pensée immobile où plus rien n'est transformable, où tout est pour toujours immuable : le haineux navigue dans un univers de certitudes ». Elle pétrifie l’autre pour le figer, pour amoindrir le plus possible son existence.

A l’inverse, la haine peut aussi se confondre avec la rage ou la colère en devenant violente, agressive. Dans le langage courant, « avoir la haine » désigne un état de fureur causé par une réaction incontrôlable face une personne (ou une situation) qui a causé du tort à celui ou celle qui en est la cible. Un « coup de gueule », des insultes, une bagarre peuvent éclater.

Nous avons tous des exemples de mails incendiaires écrits sous un accès de rage portant préjudice parfois plus à l’expéditeur qu’au destinataire.

La haine est un puissant moteur de prise de pouvoir, à l'œuvre autant dans les entreprises, que dans les associations et les partis politiques. La lutte, le combat, autant de mots guerriers que l’on constate envers un concurrent ou envers des collaborateurs qui « ne se glissent pas dans le moule ».

Selon le psychanalyste Saverio Tomasella : « haïr quelqu'un, c'est ressentir de l'irritation du seul fait de sa simple existence ». Exterminatrice, la haine fait vivre des moments douloureux, pénibles et parfois explosifs. « Les questions de la haine, de l'envie et de la jalousie font partie de ses mouvements pulsionnels et affectifs ardus à reconnaître, à accepter et à démêler. »

Outre les attitudes d’immobilisme, voire de paralysie, d’un côté ou de violence et de brutalité par ailleurs, la troisième manifestation de la haine concerne le mensonge, la perversion et la manipulation. S’imposant de façon déguisée, elle provoque des sentiments de malaise, des rumeurs. C’est le cas, par exemple, des mails avec des destinataires en copie, voire en copie cachée. Elle induit alors des réflexes de protection, de défense, à l’opposé de la souplesse, de l’initiative et de la motivation.

Un prétexte fréquent donné pour justifier la haine est d'accuser l’autre (les autres) d'en être animé(s). Du client mal reçu au fournisseur qu’on accuse de mauvaise foi, du collègue difficile qu’on traite de « relou » à la Direction que l’on critique plus ou moins ouvertement, quel manager n’a jamais été confronté à ces comportements de dégoût, de mépris, de rejet, que sous-tend un sentiment de haine ?

« Pourquoi tant de haine ? »

Les causes qui nous paraissent les plus « évidentes » sont d’ordre personnel. Un type de personnalité propice à ce sentiment, une histoire personnelle difficile, une éducation « orientée », un environnement conflictuel, tout cela favorise la culture de la haine.

A cet égard ce que dit Saverio Tomasella est lumineux : « un enfant qui voit son père ou sa mère témoigner plus de tendresse à des plantes, des animaux domestiques ou à un objet matériel qu'aux humains de la famille se sent mis en rivalité avec ces éléments non humains. Lorsque se rajoute à cette organisation familiale l'interdit de remettre en cause le(s) parent(s), de les critiquer, de leur faire des demandes personnelles ou d'exprimer ses sentiments, l'horizon de l'enfant se referme et obère ses potentialités vitales et créatrices. Les mouvements destructeurs contre soi-même (et les autres) sont alors fréquents et longs à désinscrire de l'économie pulsionnelle du sujet, qui vit son mal-être ou sa mélancolie comme une fatalité. »

La transposition dans le monde adulte est automatique. Ne prendre des décisions qu’au seul nom des résultats financiers, de la productivité ou de l’efficacité à court terme induit chez les collaborateurs un sentiment d’impuissance profond. La frustration accumulée nourrit la haine.

Quand le manager s’enferme dans son bureau et préfère la compagnie de son ordinateur, la haine fait son lit : d'un côté, sur-développée, la raison qui dissèque, classe, méprise et justifie, de l'autre, bien enterrées, les émotions de l’homme oublié, humilié, rejeté, voire « mâté ».

Petit à petit, devant des responsabilités non assumées, des règles bafouées impunément, des critiques ouvertes « qui font rire tout le monde », le climat de l’équipe, de l’entreprise se dégrade. La lassitude s’installe, le « chacun pour soi » devient la norme, les écarts relationnels se creusent, on se parle de moins en moins.

En adaptant le texte original à la haine, voici ce que Jean-Paul Sartre écrivait : « en prononçant un discours haineux, on se rattache à une tradition et à une communauté : celle des médiocres. Aussi convient-il de rappeler qu’on n’est pas nécessairement humble ni même modeste parce qu’on a consenti à la médiocrité. C’est tout le contraire : il y a un orgueil passionné des médiocres pour valoriser la médiocrité en tant que telle, pour créer l’élite des médiocres. Peur : de lui-même, de sa conscience, de sa liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la solitude, du changement, de la société et du monde. C’est un lâche qui ne veut pas s’avouer sa lâcheté ; un assassin qui refoule et censure sa tendance au meurtre sans pouvoir la refréner et qui, pourtant, n’ose tuer que dans l’anonymat d’une foule ; un mécontent qui n’ose se révolter. En adhérant à la haine, il n’adopte pas seulement une opinion, il se choisit comme personne. Il choisit la permanence et l’impénétrabilité, l’irresponsabilité totale de celui qui obéit à ses chefs (même s’il n’a pas de chef).»

Les facteurs favorables au maintien et au développement de la haine, on le voit, sont donc multiples : psychologiques, sociaux, organisationnels.

Comment en sortir ?

Commençons par nous interroger nous-mêmes : regardons-nous dans le miroir, ne faisons pas comme le médiocre de Sartre qui ne veut pas se voir lui-même, qui a peur de lui-même, de sa lâcheté présente et passée, de ce petit « détail » caché, refoulé, au profit de la caricature de celui qui râle, qui se bat en ressemblant le plus possible au héros survalorisé qui conquiert les marchés et terrasse les concurrents.

Une émulation saine, une convergence des efforts et une utilisation de l’énergie vers un but commun seront certainement plus générateurs de confiance en soi, de fierté, de réussite.

Mais avant de mobiliser son équipe, le manager a tout intérêt à prendre le temps d’écouter. La compréhension, voire la compassion, pour les membres de son équipe, et même, plus généralement, pour les autres équipes de l’entreprise permet d’éviter les jugements à l’emporte-pièce, rapides, cinglants.

Pour agir, les intentions se heurtent quelquefois au manque de moyens. Certes, la latitude d’action du manager est limitée. Mais sa première fonction est de restituer une certaine autorité. Garant des règles et de leur respect, il doit les clarifier et les faire respecter. Ne pas attendre que « cela s’aggrave » : la haine se nourrit de toutes ces petites réflexions discriminantes, racistes, sexistes, ironiques, humiliantes.

Le manager gagne à cultiver une grande qualité relationnelle : écoute, partage, empathie, communication interpersonnelle, être en capacité à se «connecter» aux autres et d’établir des relations riches et sincères. Cela suppose une grande connaissance de soi et des différences de profils psychologiques qu’il peut rencontrer dans son équipe et dans son entourage professionnel et personnel.

Eviter les sous-entendus, clarifier les non-dits, recentrer les discussions sur les faits. Rechercher, accéder, filtrer, et synthétiser les informations pertinentes d’une manière critique et systématique.

Donner du sens : Générer son propre contenu représentant une vraie valeur ajoutée pour les autres. Partager sa vision, lisait-on dans un billet précédent de ce blog.

Développer un espace personnel pour chacun :

  • Du temps pour réfléchir,
  • Une délégation motivante.
  • De l’autonomie et des champs d’initiative possible.
  • Des opportunités de recevoir des feedbacks honnêtes, courageux, réels.
  • Des espaces de libre expression où la critique, le découragement et les doutes peuvent être « avoués » sans risque de conséquence négative

Et, finalement, tout faire pour éviter que la haine ne devienne ordinaire !

Ecrit par

Jacques Isoré

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